Comme l’indique son titre, le film est une immersion au coeur de l’humain.
“Sans adieu !” est une expression typique de cette région du Forez qui signifie en fait : Je ne te dis pas adieu pour être sûr de te revoir ! Cet optimisme forcené cache en fait une certaine façon de conjurer le sort.
Dans ce film, les personnages réfléchissent, cherchent des solutions, construisent et se battent. Leur ferme est à la fois leur lieu de travail et leur lieu de vie.
Il n’est pas ici question d’un film qui chercherait à être populiste ou à se complaire dans la nostalgie car, qui voudrait vivre aussi chichement qu’eux et être aussi peu entendus par notre société ?
J’ai voulu mener une réflexion sur le territoire, le sentiment d’appartenance, la transmission, le rapport au plein – vide et à l’espace-temps, ce contre-capitalisme ordinaire, enfin.
Sans Adieu a pour point de départ l’histoire de Claudette et de paysans ballotés au rythme des politiques agricoles successives et qui vivent entre deux mondes : celui d’hier, dans lequel ils sont profondément ancrés, et celui d’aujourd’hui dont ils ont du mal à comprendre le sens bien qu’ils en soient parfaitement informés. Avec l’âge, la globalisation et le progrès bousculent leurs vies toujours un peu plus. Abdiquer n’est pas au programme et bien que déjà retraités, ils s’accrochent à leurs terres et à leurs bêtes. Derniers représentants d’un monde perdu, la dureté de leurs vies de labeur et de la nature se lit sur leurs visages et sur leurs mains.
Exilé volontaire à New York dès les débuts de ma carrière en 1992, c’est là même, au printemps 2002 que j’ai ressenti le besoin de revenir de plus en plus souvent dans mon pays natal, le Forez, pour revoir ceux que j’avais laissés et aimés,mais aussi pour faire de nouvelles rencontres. C’est alors que mon regard, certainement affuté par mon éloignement depuis de nombreuses années, me révèle une humanité singulière derrière chaque visage, chaque geste.
La confiance s’est établie réciproquement, je me suis attaché à eux et j’ai commencé à les photographier. Ils ont accepté et en résulte la publication de l’ouvrage Face au Silence.
À l’occasion de ces prises de vues, j’emportais souvent un enregistreur sonore et grâce à ce nouveau matériau, j’ai réalisé un diaporama présente aux Rencontres Photographiques Internationales d’Arles. De temps en temps , on me prête une caméra. J’ai alors pris conscience du potentiel cinématographique de ceux qui sont devenus mes personnages.
Je me suis attaché un peu plus à leurs langages, aux sons de leur vie, aux mouvements de leurs corps et à leurs gestes.
Moi, qui croyais rencontrer des gens isolés et repliés sur eux-mêmes, j’ai découvert qu’ils sont les témoins de ce monde qui s’éteint. J’ai alors décidé que ce film devait les relier à notre monde à nous.
Portraits croisés au gré des saisons, au centre de cette spirale j’ai placé Claudette. Doyenne charismatique du film, elle incarne le fossé qui sépare une certaine ruralité de notre monde moderne. Indomptable, elle n’a rien lâché jusqu’à ce que la vieillesse et la maladie aient raison d’elle.
Les autres personnages, ses voisins, sont comme une partie d’elle-même ou ses dignes héritiers.
La rencontre avec de tels personnages : des gens de peu, comme on disait autrefois, m’ont amené à m’interroger sur la consommation et la surconsommation. A-t-on vraiment besoin de plus ? Claudette et ses amis insufflent de la poésie à des endroits où nous n’oserions pas vivre aujourd’hui, si simplement.
BIOGRAPHIE
Christophe Agou est lauréat du Prix des Éditeurs Européens de Photographie en 2010 avec son ouvrage FACE AU SILENCE qui l’a amené à réaliser SANS ADIEU avec une partie de ses personnages. Ses images ont été publiées dans de nombreux périodiques comme Newsweek, Time, Life, Géo, Libération, New York Times, Télérama ou El País.
Ses photos ont été exposées à travers le monde au MoMA New York, au Jeu de Paume, à Fait & Cause ainsi qu’à la Galerie Intervalle à Paris ou encore au Musée D’art Roger-Quilliot à Clermont-Ferrand.
Ses travaux ont également fait l’objet d’acquisitions dans des collections publiques comme celles de la Bibliothèque nationale de France à Paris ou du Musée des Beaux-arts de Houston aux États-Unis. En 2011, Christophe a photographié et filmé la tournée du groupe Tindersticks en Europe.
Christophe Agou est né dans le Forez à Montbrison dans la Loire ; il vivait à New York depuis une vingtaine d’années lorsqu’il est décédé à l’âge de 45 ans en septembre 2015, juste après avoir fini le montage de SANS ADIEU.