Marco Ferreri

LE LIT CONJUGAL

Alfonso épouse Regina, vierge et catholique, et souhaite l’initier au devoir conjugal. Mais, bien vite, la jeune femme, uniquement centrée sur son désir d’enfant, perd tout intérêt pour son mari.

C’est en Espagne que Marco Ferreri débute sa carrière de réalisateur, mais au début des années 1960, il retourne dans son pays natal pour filmer Le Lit conjugal – titre donné par les distributeurs français à son quatrième long métrage, Una storia moderna: L’Ape regina, ou « Une histoire moderne : La Reine des abeilles ». La reine, c’est Regina (l’irréprochable Marina Vlady), jeune femme de bonne famille élevée dans la vertu et la religion, qui épouse un quadragénaire (le fringant Ugo Tognazzi), ancien fêtard désormais assagi. Le mari, comblé, est vite condamné à la mort par épuisement face à l’opiniâtreté des désirs de sa quasi-parfaite compagne. C’est que Regina appartient à une lignée de femmes ayant survécu à leurs hommes : le fameux lit conjugal, centre de tous les mystères, devient le tombeau de l’homme. Ferreri démontre sa qualité d’entomologiste, bâtissant une fable irrévérente sur l’institution du mariage à l’ombre du Vatican – une œuvre contre la morale religieuse qui voit en l’homme un simple fécondateur (bourdon dont on peut vite se passer), et la sexualité comme un pur moyen de reproduction. Le scénario est saisi pour obscénité, et le film, interdit, auréolé d’une réputation sulfureuse qui lui garantit un certain succès. Tout en subtilité, le jeu de Vlady lui vaut le prix d’interprétation féminine à Cannes. En plus de signer la rencontre entre Ferreri et l’un de ses acteurs fétiches, Le Lit conjugal témoigne joyeusement de la vitalité du cinéma italien de son époque.

L’univers fascinant d’un des plus grands cinéastes de l’absurde

Qui a vu les films de Marco Ferreri ? En 1973, dans le sillage du scandale de La Grande Bouffe, le réalisateur italien s’est taillé une réputation sulfureuse. On le redécouvre aujourd’hui comme un immense cinéaste de l’absurde et un pourfendeur de la société de consommation, ayant offert les rôles les plus controversés aux stars de son époque (Annie Girardot, Ugo Tognazzi, Michel Piccoli, Catherine Deneuve, Marcello Mastroianni, Gérard Depardieu, Hanna Schygulla…). 

L’intérêt renouvelé sur Marco Ferreri, remet en lumière l’un des secrets les mieux gardés de la cinéphilie moderne. De l’humour noir au féminisme, du grotesque au sublime, une œuvre culte ! Un grand maître mésestimé de l’âge d’or du cinéma italien qui, à contre-courant des stéréotypes de son époque, n’a pas fini de nous troubler, dérouter, sidérer.

Gabriela Trujillo

Marco Ferreri – Le cinéma ne sert à rien – Editions Capprici – 2020