Zorba le Grec

Zorba le Grec

ΑΛΈΞΗΣ ΖΟΡΜΠΆΣ / ALÉXIS ZORBÁS

réalisé par Michael Cacoyannis

Michael Cacoyannis avait déjà, avec Stella, réalisé un long-métrage tragique autour d’un personnage central et polarisant. Dès son titre, Zorba le Grec – Aléxis Zorbás en version originale – annonce qu’il va prendre le même parti. Et, comme Stella, le colosse du film célèbre la vie, quitte à brûler la chandelle par les deux bouts. Mais quand Stella était la réécriture d’une tragédie grecque, volontiers excessive dans les caractères de ses personnages, Zorba le Grec adopte une visée plus universaliste. Aidé par la célèbre bande originale de Míkis Theodorákis et le sirtaki, danse créée à l’occasion du film qui allait devenir un des clichés associés au peuple grec, Zorba le Grec a acquis la réputation d’une carte postale filmique du pays. Le film, probablement un des plus célèbres du cinéma grec, n’explore pourtant que de loin les traditions locales, et n’évoque l’environnement et les habitants crétois que dans leur dimension menaçante et étrangère (la plupart de leurs dialogues en grec ne sont d’ailleurs pas traduits). Le peuple grec est une foule muette, compacte, cruelle, simplement présente pour rendre les sentences. Certes, « le peuple de Crète » est crédité au générique, mais Cacoyannis s’est éloigné de la représentation de l’« âme du peuple grec » [1] qui motivait Stella, réalisé quelques années auparavant. La seule production, grecque, américaine et anglaise, ou le choix d’Anthony Quinn pour incarner « le Grec » suffiront à s’en convaincre.

Face à Zorba, personnage à l’allure de simplet, l’écrivain et essayiste Basil (Alan Bates) vient en Crète pour réhabiliter l’exploitation minière de son père disparu. Désigné par Zorba sous le surnom de « boss », cet individu sans réelle personnalité, dont le nom est à peine prononcé, adopte vite le statut de narrateur, d’observateur des événements. Bates, avec son visage poupin, délivre un contrepoint idéal à Anthony Quinn dans une opposition apparente de caractères : le cérébral et le physique, la tête et les mains. Néanmoins, si Basil incarne rapidement l’immobilisme, c’est bien Zorba qui devient le maître d’œuvre de la mine, ainsi que celui qui énonce les thèses généralistes : les hommes sont cruels, les femmes, elles, donnent tout.

 

La bonté comme salut

Zorba en tient pour preuve une Française immigrée en Crète, madame Hortense, qu’il surnomme affectueusement Bouboulina. Cette femme dont la décrépitude est affirmée représente la bonté que Zorba associe au sexe féminin : elle assure avoir sauvé les Crétois de la guerre en couchant avec des amiraux étrangers. Là où ce récit provoque le rire du « boss » et le mépris des habitants, Zorba est le seul à la considérer. Pour lui, peu importe la morale, la raison ou la bienséance, tant qu’il y a cette bonté sous-jacente qu’il ne trouve que trop rarement. Tout le personnage, admirable, du film de Cacoyannis, se raccroche à ce caractère, cette bonté qui s’oppose aux visages tantôt fermés, tantôt mesquins, du peuple. Zorba ne respecte pas les représentants religieux – et Cacoyannis non plus, figurant les moines défroqués ou hypocrites – parce qu’ils tiennent la mort comme sacrée, quand lui considère que seule la vie mérite ce statut. C’est d’ailleurs ce qui le tient éloigné de Bouboulina, qu’il refuse absolument d’épouser : sa déliquescence, son aspect trop proche de la mort [2].

La danse, et pas seulement celle de la célèbre fin du film, exécutée par Zorba et le « boss », figure le moyen choisi par le premier pour résister à cette promesse de mort qui plane sans cesse. La danse comme mouvement de vie, jusqu’à narguer la faucheuse en dansant jusqu’à l’épuisement : c’est bien le seul moment collectif qui trouve un semblant de salut auprès du réalisateur, avec l’irruption des musiciens. L’élan de vie, la vitalité que Zorba proclame à plusieurs reprises (« La vie, c’est aller au-devant des ennuis ») s’impose autant face aux obstacles existentiels (l’angoisse de la mort) que géographiques, matériels (la mine à réhabiliter). La danse finale des deux personnages, comme mouvement en réponse aux différents échecs qu’ils auront essuyés, a pu être assimilée à un mouvement de rédemption, voire de liberté finale face aux événements. Rien n’est moins sûr : Zorba, musicien et chanteur, souligne auprès de Basil qu’il ne jouera et chantera que lorsqu’il le voudra, en toute liberté. Il ne le fera pas.

Notes

[1Citation directe d’un des cartons de Stella.

[2Pour l’anecdote, Simone Signoret quitta rapidement le tournage du film en laissant ce rôle à Lila Kedrova, car elle ne supportait pas l’enlaidissement imposé par le réalisateur.

par Antoine Oury– Critikat.