La messe est finie : irrésistible de drôlerie ou d’une noirceur insoutenable

La ressortie en salle d’un film de Nanni Moretti est toujours la promesse d’une soirée réussie. Mais quand il s’agit d’un chef-d’œuvre comme La Messe est finie, l’événement est tout bonnement incontournable. Le cinquième long-métrage du réalisateur italien, qui date de 1985, dépeint le retour parmi les siens d’un jeune prêtre, après dix ans passés sur la petite île de Ponza. Affecté dans une paroisse en banlieue de Rome, Giulio se réjouit à l’idée de retrouver ses proches. Mais il assiste, impuissant, à la dislocation de sa famille, à l’éclatement de son groupe d’amis et à la désertion de son église.

Volontiers présomptueux et donneur de leçons, le héros peine à comprendre ceux qui l’entourent et semble vouloir rester sourd à leurs malheurs. Ce décalage entre le héros et son entourage se décline également sur le mode formel puisque le film multiplie les discordances dans son atmosphère et sa tonalité. Nanni Moretti parvient ainsi à instaurer une tension continue entre la comédie et le drame, au point que La Messe est finie peut aussi bien être reçue par les spectateurs comme un film irrésistible de drôlerie que comme un film d’une noirceur insoutenable.

On retrouve ainsi dans le scénario beaucoup d’éléments issus de la comédie, à l’instar du personnage de vieillard amoureux. Le père du héros, septuagénaire distingué, quitte tout du jour au lendemain pour emménager avec une amie de sa fille. Nanni Moretti souligne le grotesque de la situation en conférant au personnage un sens du timing parfait, l’aveu du père à son fils ayant lieu alors que ce dernier est sur le point de célébrer une messe d’enterrement. Semblablement, les nombreux passages à tabac du héros rappellent la slapstick comedy. Ainsi, après avoir voulu voler le ballon de football à des enfants en débarquant spontanément dans un match, Giulio trébuche et se fait piétiner. Plus tard, il est roué de coups par des individus qui se sont emparé d’une place de parking qu’il convoitait et osait réclamer. Voulant défendre un ami poursuivi par de petites frappes homophobes, il finit tabassé avec lui. Ces châtiments corporels, infligés de manière récurrente au prêtre, participent aussi de cette forme de discordance tant ils provoquent des sentiments équivoques chez le spectateur, tantôt attendri, tantôt agacé par ce personnage suffisant. Enfin, la bande son, par sa tonalité en mineur et sa lourdeur tragique, infléchit des dialogues a priori anodins vers le drame.

Si l’attachement du réalisateur aux questions politiques reste un enjeu important dans La Messe est finie, celui-ci s’intègre à une réflexion plus générale sur l’évolution de la société italienne, sur son individualisme et son indifférence grandissante aux traditions familiales et religieuses. Après la défaite des idéaux politiques, le film s’interroge sur la manière de redonner un sens à sa vie et fait de chaque personnage l’incarnation d’une attitude face à l’échec des illusions de jeunesse. Mais le naufrage est tel que les personnages dérivent ou finissent engloutis. L’un s’est radicalisé et, après des années en prison suite à une tentative d’attentat, peine à réintégrer la société. L’autre se prend de passion pour les rapaces et s’inquiète de leur survie en milieu urbain. Un troisième vit reclus parmi ses livres et, aussi mélancolique que misanthrope, rompt avec ses amis pour se réfugier dans un sommeil mortifère. Reste que le désespoir est filmé à distance, avec une ironie qui empêche le spectateur, lui, de sombrer.

De son côté, le héros n’est pas épargné et son enthousiasme un peu niais se lézarde, à l’image des fissures et des fuites qui envahissent son église. L’impasse idéologique et humaine dans laquelle il se trouve est matérialisée par un plan particulièrement éloquent où il se voit enfermé par mégarde sur la minuscule terrasse du bâtiment où travaille sa sœur. De même, l’effet de symétrie créé par la séquence d’ouverture et la séquence finale du film, scènes dans lesquelles Giulio célèbre un mariage, permet de prendre la mesure de l’usure et du désenchantement du personnage, comme rattrapé par la vie.

Culturopoing juin 2019