Lisandro Alonso est un des rares, mais réguliers réalisateurs argentins distribués en France. Son dernier film traite de spiritualité animiste en Amérique du Sud.
Inclassable, au carrefour du documentaire et de la fiction, Eureka est aussi au croisement d’un western anachronique et d’une spiritualité exotique. Sur les écrans mercredi 28 mars, Eureka retrace le voyage initiatique de Sadie, une adolescente qui va renouer avec ses racines sud-amérindiennes au cœur de la jungle amazonienne.
Officier de police dans la réserve indienne de Pine Ridge du Dakota du sud, Alaina, constamment sollicitée, coupe la radio de son véhicule. Sa nièce Sadie l’attend jusqu’au bout de la nuit en compagnie de son grand-père. Il fait traverser à sa petite-fille l’espace et le temps jusque dans la jungle amazonienne où elle perçoit les rêves des habitants de la forêt. Elle découvre une autre facette du monde où l’esprit est en communion avec la nature.
Lisandro Alonso construit son film comme autant de tableaux qui s’interpénètrent progressivement pour n’en construire qu’un seul. D’abord chronique d’un officier de police qui décroche de ses fonctions, sa jeune nièce Sadie, dont elle a la charge, prend rapidement le dessus, pour devenir le personnage principal du film. Son grand-père va révéler à l’adolescente ses origines qui vont l’ouvrir à une autre vision du monde.
Nature spirituelle
Enfant recluse, paradoxalement enfermée dans l’immensité des plaines désertiques du Dakota du Sud, Sadie renoue avec ceux qui sont restés à « l’état sauvage », ses ancêtres que le temps n’a pas atteints. Indienne, elle ne se reconnaît pas dans le western en noir en blanc qu’elle regarde à la télévision au début du film. Insatisfaite et en quête d’origine, sans père, elle est aimée et éduquée par une tante accaparée par son travail de policière. Elle aussi est ailleurs, comme un paradoxe au regard des clichés de l’ »Indien rebelle ». Le grand-père de Sadie va faire voyager sa petite-fille en libérant son corps astral, pour aller à la rencontre des habitants et des esprits de la forêt, et ainsi renouer avec leurs racines.
Comme les médecines parallèles, les spiritualités, et notamment le chamanisme, fascinent l’Occident, au regard des nombreuses publications ou documentaires à leur sujet. Eureka ne raconte pas une histoire, mais une initiation, une découverte qui prend son temps, parfois un peu trop, mais dont le charme opère. On pense à Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee) ou Hayao Miyazaki (Princesse Mononoké). Comme eux, cinéaste d’une nature spirituelle, Lisandro Alonso créé des images et un récit ésotériques, à la hauteur de leurs intentions : planant.
Révélé en 2001 au Certain Regard avec La Libertad , le cinéaste argentin Lisandro Alonso s’est depuis imposé comme l’une des figures majeure du Nouveau cinéma argentin. Dans Eureka, présenté à Cannes Première en mai dernier et à découvrir en salle à partir du 28 février, on retrouve sa vision singulière mêlée de poésie et de philosophie. Un sixième long métrage inclassable, aux allures de récit initiatique, de western et de fable spirituelle, pour lequel Lisandro Alonso s’est entouré d’acteurs non professionnels pour jouer aux côtés de Viggo Mortensen, Chiara Mastroianni et Maria Medeiros. Entretien avec le réalisateur.
Quelle est la genèse de votre projet ?
L’idée m’est venue il y a environ neuf ans, en achevant mon précédent film, Jauja. Je souhaitais continuer de travailler avec certaines images d’Indiens un peu fantomatiques qui figuraient dans ce film. En cherchant à établir des ponts entre les films que je voyais, les westerns notamment, j’ai compris que je voulais explorer le thème de la culture autochtone, faire un travail sur les indiens natifs. Je dis « indiens », mais aux États-Unis cela peut être mal perçu. Pour moi, ce sont des descendants d’Indiens qui sont devenus des peuples, des pauvres, avec leurs différences en fonction de l’endroit où ils vivent dans le monde. Aux États-Unis surtout, ils sont marginalisés. J’ai commencé à réfléchir à la manière dont un film pourrait refléter cela. Le film est un peu abstrait, il n’a pas une narration très conventionnelle. Il passe d’un lieu à un autre, d’un temps à un espace, donc je ne pourrais pas vraiment le résumer.
Peut-on dire que son objectif est de comparer les communautés autochtones d’Amérique du Nord et d’Amérique Centrale et du Sud ?
Oui, c’est ça. Et de voir comment certaines ont déjà été représentées au cinéma et comment elles vivent aujourd’hui. Le film se déroule en trois temps : il y a d’abord un cadre cinématographique graphique, ensuite nous passons au temps présent dans le Dakota du Sud et enfin, dans les années 70 au milieu d’une montagne ou d’une jungle. La comparaison est faite entre la vie des autochtones d’aujourd’hui et celle de ceux qui n’ont pas encore été affectés ou soumis par les États politiques et économiques.
« Le film n’a pas beaucoup de messages, chaque spectateur peut y trouver sa propre interprétation. »
Où avez-vous filmé ? Quelles communautés ?
En Amérique du Nord, et sur les conseils de Viggo Mortensen, j’ai tourné dans une Réserve indienne qui s’appelle Pine Ridge dans le Dakota du sud. C’est l’une des réserves les plus connues. J’ai également tourné au Mexique, à Oaxaca, auprès d’une communauté de Chatinos. Ils parlent une langue très particulière que seuls quelques-uns comprennent. Même si toute cette partie du film est fictionnelle, ils y parlent leur langue, le Chatino. Et puis, la partie que j’ai tournée en Amérique du Sud est supposée se dérouler dans une jungle, un petit endroit incertain, près du Brésil et des pays périphériques. Nous avons également posé nos caméras au Portugal et en Espagne, à Almería, dans des décors de westerns, ceux de Sergio Leone.
Qu’y a-t-il à apprendre de ce film ?
Le film n’a pas beaucoup de messages. Plutôt des conclusions incertaines, et chaque spectateur peut y trouver sa propre interprétation. Il y a différentes lectures possibles. C’est aussi mon film le plus complexe, celui qui m’a coûté le plus d’énergie: deux pandémies, des équipes techniques changeantes dans chaque pays (quatre pays différents), des remplacements d’acteurs. J’ai connu des tempêtes, des températures de – 30°c aux États-Unis… Compliqué ! Mais c’’est aussi le film qui m’a enseigné le plus de choses. J’ai appris à connaître les Indiens Chatinos, j’ai travaillé avec des acteurs professionnels et non professionnels géniaux (dont certains n’étaient jamais allés au cinéma), et je me suis beaucoup amusé à tourner dans les studios d’Almería !