En février nous lançons notre cycle « Main basse sur le climat » une série de films qui tous questionnent de façon frontale ou elliptique l’environnement, le climat, la biodiversité. Comment le cinéma rend-il compte de notre entrée dans cette nouvelle ère que l’on nomme «Anthropocène » – terme inventé à l’aube du XXIe siècle par Eugene Stoermer (un écologiste) et Paul Crutzen (un spécialiste de la chimie de l’atmosphère) afin de décrire un âge où l’humanité serait devenue une « force géologique majeure » capable de bouleverser le climat et de modifier le paysage terrestre de fond en comble ?
Du film documentaire scientifique au cinéma catastrophe « grand public » en passant par l’animation, le changement climatique est devenu un matériau de choix pour les cinéastes.
Avec LA TORTUE ROUGE, le réalisateur Michael Dudok de Wit signe un premier long-métrage à plus de soixante ans mais n’en est pourtant pas à ses débuts dans la profession.
Il a réalisé jusqu’à présent de nombreux courts-métrages, dont Le Moine et le poisson ou Père et Fille (grand-prix d’Annecy et Oscar en 2000). La rencontre avec le studio Ghibli, co-producteur, semble se faire sur des affinités électives. On reconnaît la même passion pour la ligne claire et les transformations merveilleuses d’une Nature fantasmagorique.
La tortue rouge qui donne son titre au film semble être l’incarnation de cette force vive à laquelle notre naufragé se heurte. Son origine est cachée. On ne saura rien du navire ou du pays duquel vient cet infortuné, ni comment peut exister un tel animal gigantesque au don de métamorphose. Le premier tiers du film qui retarde le plus longtemps possible cette rencontre est paradoxalement le plus passionnant. Le naufragé désire évidemment quitter une île qui lui est hostile mais la tortue rouge s’y oppose, pour une raison qui ne sera jamais donnée.
En croisant les regards européens et nippons, La Tortue Rouge atteint le statut de fable écologique à portée universelle.
Sans aucun dialogue, le film n’en est pas moins très compréhensible scène par scène. L’animation donne toujours une lisibilité aux enjeux essentiels pour les personnages (en général, survivre). On retrouve ici l’obsession du cinéma muet pour devenir un véritable langage international, par-delà les spécificités culturelles. En croisant les regards européen et nippon, LA TORTUE ROUGE atteint le statut de fable écologique à portée universelle. S’il était porteur d’un message à la hauteur, le film se hisserait au rang de L’homme qui plantait des arbres.
La famille et la nature.
En même temps, le film perd de sa force à mesure que la tortue se métamorphose dans une altérité rassurante, alors que c’était l’ambivalence de sa première nature qui nous fascinait et nous effrayait en même temps. En changeant de forme pour se rapprocher du naufragé, la grande inconnue s’efface au profit d’une simple fantasmagorie qui paraît tirée des Milles et une nuits.
Certes, on peut toujours interpréter à la fin du film, ce qui a précédé comme étant le fruit de l’imagination du naufragé afin de l’aider à survivre. Mais il n’est jamais agréable de revenir sur 1h30 de cinéma en soufflant au spectateur « peut-être que tout cela n’était qu’un rêve… » Il y a déjà tellement d’affinités entre nos rêveries nocturnes et ces images animées, que l’on ne veut surtout pas entendre qu’il s’agisse d’un songe. Aux créatures les plus étranges, nous voulons y croire comme un enfant écoute les histoires qu’on lui raconte pour s’endormir. LA TORTUE ROUGE est un beau voyage ….