Le cinéaste Ilan Klipper dépeint un quinquagénaire en pleine crise d’adulte, interprété par le trop rare Laurent Poitrenaux.
C’est l’histoire d’un raté magnifique qu’on aurait pu croiser chez Woody Allen, Arnaud Desplechin ou Philip Roth. Joué par le trop rare Laurent Poitrenaux, vu dans Victoria, de Justine Triet (2016), Bruno est un ancien prodige de la littérature qui, un jour, a subitement eu 50 ans. L’homme vit en colocation avec une Femen et passe ses journées en kimono. Quand il ne reçoit pas l’une de ses maîtresses, il fait les cent pas en attendant l’inspiration.
Il y a vingt ans, Bruno a publié un premier roman, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, dont le succès fit de lui l’une des étoiles montantes de la littérature française. Depuis, il n’a rien publié mais garde les critiques et autres vestiges de cette ancienne gloire encadrés sur son mur. Ce vieux succès semble le paralyser plus qu’il ne l’encourage : l’écrivain est devenu un homme perdu, dépressif et asocial.
Evénement Facebook
On ne sortira que rarement des murs de cette colocation, ce qui confère au Ciel étoilé…, premier long-métrage de fiction d’Ilan Klipper après un passage par le documentaire, un caractère claustrophobique que la suite des péripéties va exacerber. Puisque Bruno ne met plus le pied dehors, ses proches viennent à sa rencontre. Ses parents débarquent à l’improviste accompagnés d’une femme (Camille Chamoux). Habitué à ces rencontres arrangées de la part de sa famille juive ashkénaze, Bruno pense à une prétendante qui se révélera être une psychiatre venue voir si l’écrivain ne serait pas le parfait candidat à une hospitalisation à la demande d’un tiers.
L’appartement de Bruno est moins un espace réel que mental, un tribunal intime
Tout au long du film, l’appartement ne cessera de se remplir de proches, jusqu’à une fête finale où tous ses amis viennent s’y agglutiner, à l’appel d’un événement Facebook intitulé « Sauver Bruno ». Un appartement comme une Cocotte-Minute sur le point d’exploser sous la pression des névroses. Pas d’échange, seulement des monologues d’où s’exhale une musique névrotique façon Beyond Therapy, de Robert Altman.
Et si l’on pense à Woody Allen ou à la littérature juive américaine, c’est que l’appartement de Bruno est moins un espace réel que mental, un tribunal intime devant lequel l’écrivain devra se justifier, expliquer pourquoi cette vie prometteuse lui a échappé. L’entreprise de sauvetage qui tourne au cauchemar, comme si toute sollicitude était vaine pour un homme bien décidé à ne pas aller mieux.
LE MONDE | 23.05.2018 | Par Murielle Joudet