CNC : patrimoine cinématographique
A Bois d’Arcy, le CNC conserve quelque 110 000 films qui couvrent plus de cent ans de cinéma. Afin de préserver ce qui constitue la plus grande collection de films en Europe et de permettre à ces œuvres du passé de déjouer les aléas du temps, les équipes du CNC déploient tout leur savoir-faire. Parmi leurs missions, donner une nouvelle jeunesse aux films de patrimoine. Mais concrètement, comment restaure-t-on un film ? On vous raconte…
Imaginez des étages et des étages de bobines de films, pour certaines, centenaires, conservées précieusement dans des cellules dignes des coffres forts les mieux gardés. Car il s’agit bien d’un trésor unique et inestimable que recèle le fort de Bois d’Arcy. Un trésor à l’abri du temps sur lequel les équipes de la direction du patrimoine veillent comme à la prunelle de leurs yeux.
Pouvoir s’émerveiller aujourd’hui encore devant les œuvres de Georges Méliès, des frères Lumière, de René Clair ou encore d’Agnès Varda, les découvrir sur grand écran, dans une qualité visuelle et sonore optimum… A bien y réfléchir, cela tient de la prouesse !
A la découverte des trésors du patrimoine cinématographique du CNC
Réussir ce bel exploit technique nécessite une brigade de choc : chargés d’études documentaire et chargés de restauration, directeur de collection, historiens, conservateurs, documentalistes… réunis autour de leur passion pour le cinéma. Bienvenue au service laboratoire – restauration du CNC : c’est ici que techniciens et experts œuvrent à la restauration photochimique et numérique, en tenant compte des diverses particularités des films anciens : films coloriés au pochoir, formats non standards, supports ou images très endommagés…
L’inventaire et l’identification : un travail d’enquêteur
L’aventure commence par un travail d’inventaire et d’identification, un préalable nécessaire avant toute restauration. Tel un détective privé, le chargé de restauration mène l’enquête pour rassembler l’ensemble du matériel d’origine : négatifs, copies, mais aussi toutes les informations qui pourront aider les équipes à reconstituer le film (dossier de production, journal de tournage, script annoté, contexte historique, équipements utilisés…) afin de retenir les éléments qui permettront la meilleure restauration. En effet, en France, la restauration d’un film se fait en général à partir de l’original et non de la copie. Cette sélection se fait selon des critères physiques (état de la pellicule, longueur ou durée, état des couleurs) et techniques (nature de l’élément).
Le travail de reconstitution nécessite souvent de pister un élément à travers différentes collections dans le monde, chez des particuliers par exemple, de rechercher des bobines à travers des réseaux spécifiques comme les laboratoires, les services d’archives, ou de faire appel aux autres cinémathèques en France comme à l’étranger. Cette collaboration, facilitée par La Fédération internationale des Archives du film (FIAF), permet de retrouver les éléments parfois manquants et de sélectionner les meilleurs éléments pour effectuer la restauration.
C’est ainsi que Salammbô, film français de 1925 réalisé par Pierre Marodon, a pu être restauré grâce au concours du National Film Archive de Londres. Les éléments négatifs existaient en France mais uniquement en 12 bobines de pellicule contenant des indications précises de teintage. Le film a pu être reconstitué en utilisant comme référence une version allemande teintée, retrouvée au National Archive Film (BFI).
Préserver la version originale du film
Si l’état de la pellicule d’origine est jugé suffisamment bon, les équipes procèdent à une restauration photochimique. Les bobines sont étudiées dans le moindre détail afin de déterminer l’état physique de chaque élément. C’est un travail méticuleux et laborieux car il nécessite de réparer des perforations, des déchirures ou de collures qui se sont défaites avec le temps.
Vient l’étape de « l’essuyeuse » : les plus petits défauts du film, comme les poussières ou les moisissures, sont nettoyés pour préparer la pellicule à l’étape suivante du processus argentique : le tirage. Il arrive que certains films, trop abimés pour être traités, imposent une restauration manuelle. La pellicule, qui, avec le temps, a pu se décomposer, est devenue cassante ou poisseuse. Il convient de l’assécher ou de l’assouplir et de l’humidifier au moyen de différents produits. De même, les perforations de la pellicule peuvent être endommagées, en raison d’un passage trop fréquent en tireuse d’époque. Les techniciens opèrent une coulure pour ajouter les perforations manquantes nécessaires au défilement de la pellicule en machine.
Le support, désormais réparé et prêt à être manipulé dans de bonnes conditions, passe au tirage. Cette opération concerne essentiellement les vieux films sur support en nitrate de cellulose, un type de pellicule utilisé jusqu’au début des années 50 dont la particularité est d’être très facilement inflammable.
Priorité aux films en nitrate de cellulose
Si l’on corrige numériquement tout ce qui est venu détériorer l’image (poinçons, rayures, décoloration…), certains « artefacts » sont néanmoins conservés. En effet, le processus de restauration cinématographique implique de préserver une version la plus proche possible de l’original de l’œuvre et impose donc de respecter les techniques de l’époque, comme l’exigent le plan de sauvegarde et de restauration des films anciens mis en place par le ministère de la Culture en 1990 ou le plan de restauration et de numérisation des films du patrimoine.
La pellicule est dupliquée sur un nouveau support (dit « support de sécurité »). L’objectif est de toujours revenir sur de la pellicule argentique après la restauration car il s’agit d’un support bien plus fiable et pérenne que le numérique (la pellicule fabriquée aujourd’hui peut se conserver au moins trois cents ans). En revanche, si un élément est trop fragile pour passer au tirage, on procède à une restauration numérique.
Restauration numérique : scanner et revenir à la pellicule
Lorsqu’un film nécessite une restauration numérique, la bobine originelle, une fois le constat d’état et la réparation faite, est alors scannée en 2K, 4K voire en 8K. Le film apparaît non pas en format vidéo, mais sous la forme d’une suite de fichiers représentant les images à partir desquelles on va travailler. Divers logiciels sont utilisés pour « nettoyer » numériquement l’image (stabiliser les images, étalonner, réparer la déformation d’images, harmoniser les plans pour assurer la cohérence visuelle du film).
Ce travail de restauration de longue haleine est supervisé par un « chargé de restauration ». Il intervient, muni d’une palette graphique, pour venir à bout des défauts les plus importants, comme la reconstitution de parties d’images manquantes ou du son, la suppression des rayures… L’œuvre restaurée passe désormais à « l’imageur », une machine qui « traduit » les fichiers numériques sur la pellicule négative. Ce négatif sert de sauvegarde au film restauré, à partir duquel des copies argentiques peuvent être tirées.
D’ailleurs, si les copies argentiques sont numérisées dans un but d’accessibilité ou de restauration (parmi les 110 000 métrages conservés, plus de 7000 sont déjà disponibles sur poste de consultation numérique), les films actuels tournés en numérique doivent disposer d’une copie en argentique. Celle-ci est à déposer au dépôt légal dans le même objectif de conservation et de sauvegarde.
Ainsi, ces films de patrimoine, qui constituent la mémoire de notre cinéma, connaissent une nouvelle jeunesse et sont désormais prêts à parcourir les festivals, où ils seront projetés dans des conditions optimales.