L’Israélien entremêle dans un grand fouillis formel images de sa famille à l’heure de la mort de son père et couches fictionnées où les mêmes sont rejoués par des acteurs.
Le producteur Marek Rozenbaum devient le double fictionnel du père Rosenberg, et Roni Kuban celui du fils. ( Nour Films)
Voilà un film fait par un cinéaste qui ne s’embarrasse pas d’explications préliminaires et nous projette dans le désordre de son histoire familiale, conjugale et de ses coupages de cheveux artistiques en douze à tel point qu’on met un peu de temps nous-même à trier dans ce fatras où les éléments autobiographiques sont doublés par un embryon de fiction puis par un film méta endeuillé, reconduisant avec des alter ego la situation vraiment vécue et qui a changé le projet du film que l’on voit. Tout le monde suit ? Mieux vaut pour une fois spoiler le projet pour voir l’œuvre. Donc Dani Rosenberg, jeune cinéaste, obtient une bourse pour tourner une fiction dont le sujet est la hantise d’Israël d’être bombardé par l’Iran. Son père, Natan Rosenberg, en tient le rôle principal, personnage atrabilaire et paranoïaque embarquant sa famille en bagnole pour Jérusalem, site sacré que «les musulmans ne vont pas détruire». Mais Natan se découvre un cancer du foie qui finit par l’emporter. Son fils transforme alors le projet en une fiction complexe et parfois exagérément compliquée sur la douleur de la perte du père et du film, sur l’obsession à tourner quand plus rien ne tourne rond, l’angoisse ironique du premier récit sur la déclaration de guerre venue d’Iran cédant la place à une panique plus concrète face à la maladie. Le cinéaste embauche le producteur Marek Rozenbaum pour jouer son père, rebaptisé Yoel Edelstein, et Roni Kuban pour tenir celui du fils, Asaf, obsessionnel et maladroit. Deux femmes observent et critiquent ce binôme masculin, la compagne d’Asaf, enceinte et délaissée et l’épouse fictive et réelle de Yoel/Natan, Ina Rosenberg.
Entretissant les différentes couches de récits – le tournage du film dans le film, les images de la réelle agonie de son paternel, les extraits de home-movie tournés au fil du temps avec sa caméra Super 8, faisant clignoter le vrai et le reconstruit en basculant d’un plan l’autre Natan Rosenberg exaspéré et son «remplaçant» romancé Yoel Edelstein – la Mort du cinéma et de mon père aussi traduit l’invraisemblable foutoir d’intentions, de malentendus, de connivences, d’événements réussis, manqués ou oubliés qui forment la trame d’une expérience inaugurale (tourner son premier «vrai» film) ou d’un adieu à l’existence (se savoir condamné par l’inexorable cheminement de la pathologie). Ni le fils ni le père ne sont particulièrement à sauver, ou aimer, perdu l’un et l’autre dans le système enchevêtré de leur épuisante dépendance sadomaso de filiation et d’autofiction. L’exercice tient de la touchante confession et du grand déballage névrotique, comme lorsque l’épouse du cinéaste lui reproche son immaturité et ses absences à des moments aussi cruciaux que sa première échographie, ou lorsque la mère s’évanouit pendant que son mari choisit l’urne funéraire où il veut entreposer ses cendres, les registres du drame et de la comédie surgissant d’une séquence l’autre dans un continuum de moments incertains et parfois plus traumatiques d’être délestés de toute importance ou gravité.
Libération. par Didier Péron.