Elle s’appelle Ziki, elle ressemble à une poupée : des nattes multicolores, des jupes qui dansent, et un délicat coquillage sur le front. Elle traîne avec ses copines dans le quartier où habite Kena, à Nairobi. Kena, c’est tout le contraire : une brindille un peu garçon manqué, de cette gaucherie brusque qui confine à la grâce. Tout oppose les deux jeunes filles, à commencer par leurs pères respectifs, candidats rivaux dans une élection locale. Et pourtant, elles se tournent autour. Elles se cherchent. Echange de regards, sourires furtifs, désir, fascination.
Adaptée d’un livre de l’Ougandaise Monica Arac de Nyeko, cette romance à la fois solaire et maudite a beaucoup fait parler d’elle au dernier Festival de Cannes : premier film kényan à investir la Croisette (dans la section Un certain regard), Rafiki était, en même temps, censuré dans son propre pays. Là-bas, l’homosexualité est bannie, passible de prison. Et oser la représenter à l’écran est à peine moins dangereux. Vus d’ici, les émois de Kena et Ziki n’ont pourtant rien de révolutionnaire. On y retrouve le charme naïf et impétueux d’un premier amour : une histoire fraîche, sensuelle et touchante comme ses deux jeunes interprètes. La réalisatrice Wanuri Kahiu cherche constamment à échapper à l’imagerie habituelle d’une Afrique misérabiliste, uniquement préoccupée de sa survie. Chaque plan déborde de couleurs acidulées, chaque mouvement est un hommage aux élans de la jeunesse. Du moins jusqu’à ce que la violence du monde rattrape les deux amantes, comme elle a rattrapé le film. De la lumière de Cannes à l’intolérance de Nairobi, de la passion partagée à l’étouffement, même punition. Wanuri Kahiu l’a dit et répété : elle n’a jamais souhaité réaliser un brûlot militant. En l’interdisant, ce sont les autorités kényanes qui ont fait de l’amour une cause à défendre, coûte que coûte.
Par Cécile Mury Télérama. 25 09.
Au Kenya, en swahili, le mot « rafiki », titre du film de Wanuri Kahiu, signifie « mon amoureux (se) », « mon ami (e) », sans précision de genre, laissant libre d’interpréter le profil du partenaire. Cette condition étymologique est l’antithèse de la réalité kenyane, où l’amour entre deux filles (ou garçons) est totalement proscrit, le poids de l’Église contribuant largement à son interdiction. Avant même de vivre une ovation au dernier festival de Cannes (section Un Certain Regard), Rafiki avait été interdit au Kenya pour « son traitement de l’homosexualité et de son but évident, promouvoir le lesbianisme »(…),« ce qui est illégal et heurte la culture et les valeurs morales du peuple kenyan ». Voilà qu’aujourd’hui Oncle Sam prend le relais, barrant les chances du film au titre de « Meilleur film étranger » dans la course aux Oscars, tant une candidature est conditionnée à l’obligation d’être distribué et diffusé dans son pays d’origine… Pas simple.
Mais Wanuri Kahiu n’abandonne pas le combat : elle lutte actuellement pour sa liberté d’expression et a décidé de porter plainte contre les autorités de son pays. En parallèle, les spectateurs français découvriront tranquillement cette histoire pudique de deux lycéennes attirées l’une par l’autre : Kena (Samantha Mugatsia) et Ziki (Sheila Munnyva), émerveillées de vivre en silence un amour hors la loi, sont entourées des bruits d’un monde catastrophé. Miroir, miroir…
La réalisatrice a passé sept ans à réunir des fonds et cinq ans à développer son projet adapté d’une nouvelle, Jambula tree de Monica Arac de Nyeko, dont l’action se situait originellement en Ouganda. Elle a atteint son but, produire un véritable feel good movie africain, doux et moderne, en réhabilitant la réalité et l’essor artistique de son territoire : les musiques de Muthoni Drummer Queen et Jebet Nava enveloppent les corps avec énergie, les couleurs sont vives, inspirées de Mickalene Thomas ou de Zanele Muholi. Les jeunes Africains font enfin la fête comme ceux du monde entier ; la pauvreté se détecte avec parcimonie au profit d’un sens aigu de la représentation des femmes. Et rien ne résonne de manière manichéenne dans cette exploration : ces dernières sont aussi bien la source des commérages et de méchancetés ordinaires que des emblèmes de volonté, de dignité et de courage.
Plus globalement, Rafiki est un film touchant par son questionnement incessant et légitime sur l’état des droits en Afrique de l’Est. Chaque scène est mue par une croyance naïve et indéfectible que le cinéma est capable de transformer la vie et les gens, à l’image de l’amour incomparable qu’il décrit. Wanuri Kahiu va plus loin : « Je pense que la douceur est le seul outil à même de vaincre la haine, la myopie ou le conservatisme qui oppresse. La seule manière de changer les choses, c’est de le faire à travers la joie, l’espoir et le fun. ». Un message ultra-positif qui, malgré les coups, ne baisse pas la garde et poursuit son bras de fer.
Olivier Bombarda Bande A part 24 09. http://www.bande-a-part.fr