A PROPOS DE JEAN ROUCH: LA FICTION COMME ARME DU DOCUMENTAIRE

Grand maître du documentaire ethnographique, Jean Rouch est l’auteur de plus de 120 films qui ont totalement redéfini la conception moderne du cinéma scientifique. Né en 1917, il découvre l’Afrique en 1941 alors qu’il est ingénieur des Ponts et Chaussées. Six ans plus tard, il tourne son premier court métrage, Au pays des mages noirs. En 1952, il fonde avec André Leroi-Gourhan le comité du film ethnographique, puis il signe avec Les Maîtres fous (1954) sa première œuvre majeure : on y découvre les rites de possession du Niger comme on ne les a encore jamais vus. Dès lors, Rouch parle de « ciné-transe », dispositif de tournage caméra à l’épaule impliquant la participation du réalisateur aux événements filmés. Autant dire qu’il assume sa subjectivité et son empathie pour les « personnages » de ses documentaires. Il est vivement critiqué par la communauté scientifique pour son mélange des genres.

 

Par la suite, de Moi, un Noir (1958) à La chasse au lion à l’arc (1965), de Jaguar (1967) à Cocorico, monsieur Poulet (1974), il fait de plus en plus se côtoyer cinéma du réel et fiction, n’hésitant pas à recourir à l’improvisation et à solliciter la participation de ses protagonistes. Admiratif de la modernité de son approche, Jean-Luc Godard compare Moi, un Noir à « un pavé dans la mare du cinéma français comme en son temps Rome, ville ouverte dans celle du cinéma mondial ». Son œuvre des années 60, à l’instar de La punition (1962), Les veuves de quinze ans (1964) et surtout Gare du Nord (1964), confirme que Jean Rouch appartient bel et bien à la Nouvelle Vague.

 

En 1960, Rouch coréalise Chronique d’un été avec le sociologue Edgar Morin, illustrant le premier essai de « cinéma-vérité » selon l’expression du cinéaste. Observation du Paris de la décolonisation, le film met, là encore, largement à contribution les personnes rencontrées. Bien plus, il est tourné avec les nouveaux outils légers du documentaire : son direct et caméra portée 16 mm. Et pourtant, malgré sa portée scientifique, les films de Jean Rouch n’ont rien d’austère. Bien au contraire, il s’en dégage une fantaisie et une humanité qu’on n’associe pas en général au documentaire ethnographique. Il se livre lui-même devant la caméra de Jean-André Fieschi pour son portrait Mosso Mosso (1999) où on l’entend avec bonheur affabuler et se réinventer, comme Edward G. Robinson dans Moi, un Noir. Rouch disparaît au Niger dans un accident de la route à l’âge de 86 ans.